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Le sérac philosophe
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7 avril 2016

Un psychisme immuable ? (la manie du même)

« Deux excès : n'admettre que la raison, exclure la raison ».

   Avec ce fragment, Blaise Pascal offre une formule méthodologique : prosaïquement ce n'est ni totalement blanc ni totalement noir, plus logiquement, ce n'est ni seulement A ni non-A. Est-ce A et non-A ? Et si oui dans quelle proportion ? Est-ce un autre que ce A ou bien ce non-A ? On peut étendre ce refus de l'alternative monolithique à des questions relatives aux événements, aux changements : « Deux excès : n'admettre que la nouveauté, exclure la nouveauté ».

 Lors d'un échange avec un Spécialiste sur les pathologies psychiques contemporaines, j'ai entendu de celui-ci, en résumé, que les dites nouvelles pathologies (par exemple le burn-out) ne sont que des expressions nouvelles de ce qui existait déjà. D'abord, soyons un peu logique, et encore un peu binaire. Soit nous pouvons connaître les pathologies psychiques du passé, alors nous pouvons statuer de la nouveauté ou, inversement, de l'ancienneté de telle ou telle pathologie. Mais pour ce faire il faudra établir un diagnostic sans sujet, sans patient. Ceci n'arrêtera pas certains... Soit nous ne pouvons pas connaître les pathologies psychiques du passé, et alors nous ne pouvons rien statuer. L'avis du psychiatre était pour le moins cocasse : on ne peut pas connaître les pathologies du passé, - mais !,  les « nôtres » ne sont que de nouvelles formulations des anciennes. Admirable !

La manie du même : n'admettre que l'ancien, exclure la nouveauté.

Avant de spéculer un peu ou à l'envi, arrêtons-nous un moment sur la drôlerie suivante.

 Prenez un esclave de l'antiquité : il vit et travaille au grand air, au rythme des saisons ; sa temporalité est celle des cycles – des marées, des astres… ; il craint les jugements de son maître comme des dieux ; imagine que le monde, la nuit, est éclairé par des divinités ; est entouré d'une très faible population communautaire dont l'univers se borne à l'horizon visible ; et il produit dans un univers matériel et économique artisanal. Le soir ? L'esclave est épuisé, et triste.

 Prenez un salarié de la modernité : il vit et travaille confiné, au rythme des machines ; sa temporalité est celle des instants émiettés ; il craint les jugements de son manager et de sa maîtresse ; imagine que le monde, le jour comme la nuit, ne vit que pour lui ; est entouré de milliers d'individus sériés et atomisés mais connectés dans un univers infini sans dieu; et il produit dans un univers matériel et économique cybernétique. Le soir ? Le salarié est épuisé, et déprimé.

L'esclave est épuisé et triste ; nul ne s'en soucie. Rêvassera-t-il à des jours meilleurs ? A se la couler douce à Alexandrie ?

Le salarié est épuisé et déprimé ; toute l'industrie pharmaceutique s'en soucie. Il ne rêvasse qu'à des jours meilleurs, à se la couler douce à Miami.

 Peut-on imaginer que de telles différences matérielles, productives, sanitaires, idéologiques, religieuses... ne causeront ou au moins ne déclencheront pas de nouvelles pathologies, sinon des pathologies psychiques aux manifestations différentes ? Ou bien tout ceci serait du pareil au même : le burn-out, de la fatigue de laboureur ? Les addictions, des habitudes tenaces de chevalier ? A-t-il déjà existé une civilisation sous psychotropes (alcools, drogues, neuroleptiques, antidépresseurs...). Il n'y a donc pas de nouveauté ? Nos formes de vie changent mais pas notre psychisme et ses pathologies ?

 Céder à la manie du même et de l'immuable me fait grincer des dents. Céder à la manie inverse, de l'autre, ne voir que du nouveau, du révolutionnaire... me fait monter la bile. Car en effet, si notre psychisme n’est pas sensible à notre « milieu » (milieu pour faire vite), si celui-ci ne nous affecte en rien, alors qu'est-ce qui cause les pathologies ou y contribue ?

 

 Un psychisme dont la santé ou la pathologie ne seraient en rien permises par « l'autre », l'extériorité, est un empire dans un empire qui ne change pas : il échappe mystérieusement au devenir et demeure immuablement le même.

 

L'excicision de la pierre de folie, Jérôme Bosch,

 

 

 

 

« Deux excès : n'admettre que la raison, exclure la raison »

(édition Lafuma fragment 183, Brunschvicg 253)

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