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Le sérac philosophe
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24 juillet 2018

Difficile #scepticisme

 

 

       S'opposant à ceux qu'il nomme les Pyrrhoniens, Blaise Pascal met en doute leur doute : "douteront-ils s'ils doutent ?" leur adressent-ils.

   Quant à moi, sans être pyrrhoniste, oui je doute que je doute. C'est-à-dire que je m'aperçois que je crois douter de quelque chose alors qu'en fait je pose des propositions opposées à celles que je considère mettre en doute. Ainsi opposai-je souvent l'impermanence à la permanence, ou encore le hasard au déterminisme. Cependant, si je rejette des propositions telles que "l'éternité existe", "le monde est stable et déterminé", et "l'univers a un commencement et une fin"..., en affirmant à mon tour que "l'éternité n'existe pas" (au moins parmi les phénomènes), que "le monde est instable et indéterminé" (le hasard !), et que "l'univers n'a ni commencement ni fin" (ce qui revient à dire qu'il est éternel...), alors j'oppose une thèse ou au moins une proposition à une autre; je juge moi-aussi des phénomonènes au-delà de mon expérience, voire de toute expérience possible. Je fais à mon tour de la métaphysique alors que je ne veux prendre la métaphysique que pour ce qu'elle est, à savoir la projection de nos propres besoins et de nos propres catégories sur ce qui nous dépasse. Elle ne manque pas toujours de sens, mais elle n'a rien de consistant.

  En somme, si je superpose des jugements à d'autres, alors je ne doute pas. Car nier une proposition, objecter à une thèse, et réfuter une théorie ou au moins un argument, reviennent à nier, objecter, et réfuter, mais ce n'est toujours pas douter. De plus, la stratégie qui consiste à mettre en doute les propositions d'autrui, grâce à des arguments sceptiques, ne manque jamais d'efficacité, mais n'exprime aucun scepticisme.

   L'attitude sceptique ni ne commence ni ne s'arrête avec des jugements négatifs : "l'éternité n'existe pas", etc. ; elle requiert une suspension du jugement, de tout jugement; et même une suspension du jugement sur le jugement.

 

   Cela, quoique ce soit, n'est ni attirant ni repoussant, ni agréable ni désagréable, ni plaisant ni déplaisant, ni utile ni inutile, ni comique ni tragique, ni joyeux ni triste, ni beau ni laid, ni bon ni mauvais, ni signifiant ni insiginifiant, ni intelligible ni inintelligible. - Puis-je le dire ? Puis-je dire seulement que cela est ? - Mais c'est encore poser un jugement d'existence. - Puis-je dire que cela existe et n'existe pas ? - Nous manquons de mot pour désigner cela, qui ni n'existe ni n'existe pas. Et l'action comme la nécessité d'agir m'enjoignent de considérer tant de choses comme existantes.

 

   De même que se manifeste une différence entre "croire suivre une règle et suivre une règle", de même se manifeste croire que l'on doute et douter. Le doute se prendra donc pour objet car il n'existe pas pire croyance que celle de croire que l'on est détaché de tout dogme, de toute idée reçue, de toute idéologie, de tout déterminisme, de tout biais de confirmation, de tout renforcement de groupe, etc. Le doute doutera de lui-même sans aucune certitude, sans aucun point fixe, sans aucun espoir de gain. Il doutera plus encore de lui-même que des thèses et des théories qu'il rencontre.

   AiDétal de Zao Wou-Kinsi cela s'écoulera; comme tout phénomène ? Au moins ceux du penser.

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Commentaires
A
"la pensée se taise pour laisser advenir les "phainomena" - les surgissements, les événements, les processus, dans leur nudité et leur spontanéité."<br /> <br /> Cher Guy, je ne peux pas mieux dire. C'est le prolongement clair et serein du doute en effet. <br /> <br /> Mon doute doutant ne vise que lui-même, afin de rester une attitude et non pas devenir une certitude. Et la visée de cette attitude, tu l'as très bien décrite. Et en fin de compte, la référence au bouddhisme me paraît très pertinente. L'attitude bouddhique et l'attitude sceptique ont tant d'airs de famille.
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G
Je ne suis pas persuadé que le doute soit le maître-mot du pyrrhonisme, comme tu le laisses entrevoir toi-même. Douter c'est encore combattre, quand la fin du pyrrhonisme est la suppression de toute lutte au sujet des représentations. Et de fait, par le doute, s'il est mal géré, on risque de s'enfiler dans une spirale où l'on doute du doute, et pourquoi pas du doute du doute du doute, à l'infini. Toute la question est de savoir comment atteindre cette plage heureuse où la pensée cesse de se tracasser sur la vérité et l'erreur, sur le fondement de nos pensées etc. En toute rigueur, suspendant l'assentiment à la thèse et à l'antithèse, autant qu'à leur réfutation, la pensée se taise pour laisser advenir les "phainomena" - les surgissements, les événements, les processus, dans leur nudité et leur spontanéité. On comme dans le bouddhisme : Qu'est ce que le Bouddha ? - l'arbre dans le jardin !
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