Dimanche 6 juin

Penser, logique,

Georges Christophe Lichtenberg écrivit à la fin du XVIIIème siècle qu'il était plus pertinent de dire non "je pense" mais "ça pense". Il ajouta que "postuler le je est un besoin pratique" (Sudelbücher).

Tant ont repris cette thèse. Certains ont dérivé le "ça pense" d'une vie affective foisonnante et contradictoire. J'y adhère, dans une certaine mesure seulement, car si dériver le "ça pense" des affects est une possibilité, l'y limiter est une réduction. Les logiciens eux-aussi se passent du -je- dans la pensée. Car la pensée se meut par ses propres rouages mécaniques (inférences médiates et immédiates), par ses propres flux et reflux (oppositions), ses propres accelerandi et descelerandi (synthèse et analyse). La logique a des raisons que le coeur et le corps ignorent, - et sans doute la conscience elle-même les ignore. Et vice et versa.

Mardi 8 juin

Lucidité, joie,

Un peu de lucidité altère la gaîté, beaucoup de lucidité ouvre à la joie.

Samedi 19 juin

Organisation, travail,

De tous les problèmes qui se manifestent dans les organisations de production et de travail bureaucratisées, publiques ou privées, combien relèvent de l'organisation elle-même ? Et comme il y en a énormément, ne passerions-nous pas notre temps à résoudre les problèmes que cette organisation de travail génére ?

En somme, ne travaillerions-nous pas à résoudre les problèmes émanants de notre travail ? Nous travaillerions à travailler.

Plus tard

Anthropologie, économie,

4 excès : N'admettre que l'individu; exclure l'individu. Symétriquement, n'admettre que le collectif; exclure le collectif.

3 binômes : individuel / collectif -- public / privé -- lucratif / non-lucratif.

Choisir un système économique fondé sur le modèle privé non lucratif ou alors le public lucratif. Ces combinaisons sont moins délétères que le privé lucratif; et moins infécondes que le public non-lucratif. Rechercher le profit ou le profitable collectiviement pour chacun, et individuellement pour les autes; rechercher le rentable qui économise et rationalise les ressources au lieu de les gaspiller sans contrôle, pour en partager les fruits, entre tous les agents concernés. L'intérêt individuel ouvert au partage.

Se situer aussi loin que possible des chimères des sociétés sans classes et sans propriétés privées, du fonctionnaire universel, de l'excès d'égalité liberticide, que du cauchemar des sociétés sans collectif, sans propriété publique, sans rien de commun (κοινή), de la liberté sans égalité.

Mardi 6 juillet

Maître Eckhart,

Et si cette partie de l'âme qui échappe même à Dieu était une autre temporalité ?

Existe-t-il vraiment, le temps, le destructeur ? Rainer Maria Rilke, Sonnets à Orphée, II., 27.

Jeudi 8 juillet

Victoires,

Ô la force des victoires, des réussites, des défis impossibles ! Ô cette tension de joie, dure et flexible comme un arc, tirant ses flèches fleuries et acérées vers l'avenir ouvert et inconnu. Ô l'indicible joie funambule, sur les séracs. Sentiments d'invincibilité, je vous ai laissés glisser, sans vous fuir ni vous retenir.

lundi 20 juillet

Mort des civilisations, l'homo sapiens pourquoi faire ?

J'avais toujours pensé qu'aucune civilication ne chutait vraiment, certes que telle ou telle put perdre son hégémonie militaire, technique, culturelle, etc., mais vraiment disparaître, non. Puis, par des hasards, j'en arrivai au cas de la civilisation minoenne, et aux siècles obscures de la Grèce, entre Mycènes et le renouveau pré-classique : suspension des techniques d'architecture et d'aménagement des routes, et surtout, perte de l'écriture.

Un -style- peut disparaître, un peuple peut régresser, notre je-ne-sais-quoi français peut s'effacer. Mais surtout, l'oubli et la disparition des oeuvres de Pindare, Praxytèle, Jean d'Orbais, Pétrarque, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Jules Hardouin-Mansart, Blaise Pascal, Jean-Philippe Rameau, Richard Wagner, et j'en oublie tant d'autres moi-même, leur disparition donc, m'afflige souvent.

Sans elles, à quoi bon l'homo sapiens ? Elles sont notre -utilité-, notre sens. Le reste de l'homo sapiens n'est que destruction, spoliation et extinction.

mardi 21 juillet

T'es pas cool,

Quand a été confondu le laisser-aller avec le lâcher-prise d'une part et le cool d'autre part ? Le laisser-aller ou cette manière de refuser les manières, cette habitude de négliger la relation à l'autre comme on néglige son hyginère corporelle.

Friedrich Nietzsche écrivit que deux choses éloignaient ou différenciaient, je ne sais plus avec précsion, les hommes entre eux : les besoins et l'hygiène. J'ajouterai, entre autres, la capacité à tendre sans efforts vers l'autonomie (ce qui n'est pas la niaiserie de penser être autonome dès lors qu'on y pense, car penser l'autonomie, ou encore penser que l'on est autonome, n'est pas accéder à l'autonomie sinon, si je pense être un gladiateur, je pourrais être un gladiateur, si je pense être génial, je pourrais être génial, etc.).

vendredi 23 juillet

Des néo-hippies,

Que faire des habitus, des manières, des codes, des apparences propres à un groupe, à une classe ? Je bannis les miens. Je ne veux pas appartenir, je veux échapper. Mardi 21 juillet, je vis des personnes ensemble avec les mêmes codes, les mêmes manières, en un mot les mêmes habitus et les mêmes habits. Je sentis mes défenses s'agiter, je me tendis comme face à une menace, - discrètement. Une fois avoir laissé passer ce réflexe je m'apaisai. Et alors, comme parfois, m'envahit un sentiment de pitié bien embarrassant. Car je sentis sur moi le vent de l'aile du conformisme. Et le pire, c'est quand ce conformisme a la morgue et la prétention de l'originalité voire de la liberté.

- Pensez à ces petits groupes de gens, en tenue néo-hippie, très manifestement anti-système, anti-bourgeois pour les plus vieux. Dans les années 2000 ils portaient des vêtements de Tibétains ou de Quechua, mal tissés, mal imités. Ils cultivent la négligence et l'absence de style comme une valeur. Ils exhibent leur absence de soin d'eux-mêmes comme d'autres exhibent leur élégance sophistiquée. Ils sont en friche, en jachère.

jeudi 29 juillet

Des guérisseurs sans guérisons,

J'en vois encore confondre la connaissance théorique du psychisme avec son approche pratique. Plus sottement encore, ils confondent la maîtrise qu'ils croient avoir des études du psychisme et des soins qui s'en suivent avec la connaissance et le soin nécessaire de leur propre psychisme. Et leur connaissance livresque sur le psychissme en général leur fait accroire qu'ils maîtrisent quoi que ce soit d'eux-mêmes, - et, plus grotesquement encore, des autres. Et pour aller encore plus loin dans l'illusion, ils pensent que savoir c'est faire, que comprendre c'est agir.

Comme ils se préservent d'eux-mêmes en pensant se soigner par la connaissance du soin ! C'est à croire que plus ils veulent en savoir moins ils veulent pouvoir. Quand dire c'est ne pas faire... How to do no-things with Words.

En août,

Ô Jules-César, si grand que l'on te fait empereur, si présent dans mes livres d'enfant, dans notre calendrier, si grand conquérant, n'as-tu pas bâti la première Europe ?

Ô Jules-César ! Regarde ton temple puis ta basilique. Que reste-t-il sinon des pierres empilées, des presque riens. Tout coule, tout passe.

Larmes de l'âme, toute beauté s'efface. Sans parler de toi, ô Hadrien !

Jules Cesar_Foro Romano_Rome

Basilica_Julia_Foro Romano_Roma

Samedi 28 août

Critiquer, se taire,

Critiquer, objecter, réfuter ses propres préférences axiologiques et ses propres arrière-plans conceptuels comportent des risques et des avantages.

Les risques ? ne plus rien affirmer. Les avantages ? ne plus rien affirmer, se libérer en se détachant. Puis se taire.

Wovon man nicht sprechen kann, darüber muss man schweigen. Ludwig Wittgenstein, T L-P, 7. = Ce dont on ne peut parler, il faut le taire.

Journal d'été (Ô Jules César ! Ô Hadrien ! Ô ruines !)

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