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Le sérac philosophe
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23 mai 2020

De ceux qui vilipendent leurs gouvernants

De ceux qui vilipendent leurs gouvernants

 

Le galand en eût fait volontiers un repas ;

Mais comme il n'y pouvait atteindre :

"Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats."

— Jean de La Fontaine, Fables, Le Renard et les Raisins

 

          Tout gouvernant subit ses vilipendeurs, à qui, pour être crédibles, il manque d’être capables, par lesquels tout est critiqué mais rien n’est examiné ; qu’on ne peut désapprouver sans paraître arrogant, et qu’on n’ose suivre sans être coupable.

     Proche et petit, ou grand et lointain, un gouvernant, ou un administrateur, - voire l’obscur édile plébéien-, est toujours critiquable et critiqué : ou bien il n’a pas fait ce qu’il fallait faire, ou bien il a fait ce qu’il ne fallait pas faire. S’il agit, on l’attaque, s’il s’abstient, on l’étrille. Et tout s’aigrit, et tout monte… Un vilipendeur, ici, peste ; là, un autre vocifère, - mais toujours à bon droit, car il s’indigne, lui !

     Si un gouvernant suit, en panurge, le peuple qu’il prétend conduire, alors il incarnera la démagogie, faible et lâche ; et il sera méprisé jusqu’à l’oubli. Si un gouvernant s’oppose, en démiurge, au peuple qui l’enjoint de le servir, et, pis ! s’il dit à ce peuple la vérité qu’il mérite d’entendre, alors il incarnera l'autoritarisme, fier et hautain ; et il sera haï de manière irrémissible. Mépris ou haine qu’importe, rien de nouveau pour le vilipendeur congru ; « arx Tarpeia Capitoli proxima ».

      Qui sont-ils, ces sachants hochant la férule ? Ils sont à voir et à bénir, analogons culs-de-jatte des contempteurs du pouvoir, idiosyncrasies conformes, individus semblables se rêvant pures singularités, fascinés par leurs différences spécifiques – mais infinitésimales et accidentelles : ils s’indignent, ils vilipendent, ils conspuent. Ont-ils déjà gouverné ? À peine leur cuisine, pas même leur chien. Ont-ils déjà dirigé ? Leur attention oui ! sur des riens ; ou alors une barque, - halée. Ont-ils déjà commandé ? Un plat, sans doute, un verre de vin certainement avec forte autorité exigeant la déférence du subalterne. Ces sachanteux parlent comme des aveugles jugeant des peintures, des sourds jugeant des symphonies.  Parlez-leur de vos dessins réalisés dans l’eau vive d’une rivière, ils jureront les avoir vus mais peu appréciés. Juges sans savoirs, ignorants de ce qu’ils jugent. Il y a en eux quelque chose de l’esprit chagrin du bon Théophraste (Περἰ μεμψιμοιρίας). Lucrèce écrivit qu’il était doux de voir les efforts des marins dans la tempête, depuis la côte, ou encore des batailles périlleuses auxquelles on ne prend pas part (Suave mari magno turbantibus ventis aequora spectare et terra magnum laborem alterius). Mais notre vilipendeur, de son mal de mer, conseille le marin, et de son fauteuil, guide le général. Irrésolu maître d’action, passif émérite résolu, il classe, tranche, décide et juge, tout en maudissant car, lui, il aurait fait mieux si…

Mouton derrière une cloture_Chaim Soutine_Coll_Privée

     

 

 

 

      La mauvaise foi n’étouffe pas les vilipendeurs, sinon nous n’en connaîtrions pas, ni n’en lirions (ils existent, fuyons-les). Donc il aurait fait quoi si quoi ? S’il avait pu ? S’il avait su ? Mais son ignorance falsifiée en savoirs épuisés et son impuissance déguisée en affirmation de soi frelatée lui interdisent toute lucidité et toute assomption. De plus, la tension entre sa détermination velléitaire et la réalité de son incapacité l’oblitère. Enfin il convient alors de prêter sa propre médiocrité, sa propre misère, à un autre, auquel revient toute la faute, toute la bassesse. Et le bouc-émissaire de la frustration de son impuissance s'incarne dans le gouvernant. Tout est la faute de l’autre, surtout s’il gouverne, - car en plus « il me domine », et ainsi resté- « je » indemne, intouchable et pur, - au-dessus des autres corrompus (mais sans dessous). « Je » ne suis responsable de rien, « je » n’ai rien à assumer, « je » n’ai rien à changer, rien à faire.

     Si le ressentiment aiguillonne le vilipendage, la mauvaise foi l’excuse, et l’aveuglement sur soi le lave.

    Cependant, dans la vacuité de ces râlements qu’ils font naître, toute pensée disparaît ; les mots, tous superflus, se desquament comme des pelures rassies ; et cela remue et oscille au-dessus d’un trou, béant, dissonant, lesté et bilieux. Alors que dans la vacuité d’un détachement qu’on laisse naître, toute pensée apparaît puis disparaît, et inversement ; les mots, tous muets, s’estompent comme la rosée avant midi ; et cela s’ouvre et grandit, nulle part, harmonieusement, ignescent.

     « Énigme est le pur jaillissement », - le pur jaillissement du vivre.

 

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