Misère et grandeur de Heidegger
Misère et grandeur de Martin Heidegger
Je n’ai jamais été heideggérien, dans le sens où j’aurais adhéré à l’ensemble de ses thèses, suivi sa démarche (méthode est impropre pour lui), et défendu ses notions (concept convient peu aussi). D’ailleurs si j’ai été quelque chose c’est… on verra plus tard.
Je n’ai jamais été heideggérien, seulement heideggérophile, ou heideggérisant. Je ne peux cacher mon Etonnement philosophique devant la différence ontologique et sa « quête » de l’être (que je n’ai jamais trouvé). S’il y a de la grandeur chez Martin Heidegger, elle se situe pour moi dans l’être-pour-la-mort, dans la mort comme possibilité de l’impossibilité de l’existence, comme possibilité de la fin des possibles. Elle se situe aussi pour moi dans l’essence de la vérité, qui n’est autre que la liberté, qui n’est autre que laisser-être l’étant ce qu’il est, sans accaparement ; dans l’apérité comme on l’a traduit. Elle se situe aussi pour moi dans l’essence de la technique, cet arraisonnement de l’étant.
Il y a de la grandeur pour moi car ceci je l’ai pensé-vécu.
Quant à son approche des textes de la pensée initiale, traditionnellement (donc à tort) nommée-décrétée présocratique, son écoute de la parole débarrassée du legs de la tradition, ou des traditions, demeure intéressante quand bien même elle reste très analogue à la medidatio scriptura, voire à la lectio divina, avec cette différence que Dieu chrétien n’est pas visé. D’ailleurs, Martin Heidegger est bien discret au sujet de sa dette à l’égard de Maître Eckhart… N’est pas déchristianisé qui veut !
Là n’est pas sa misère ; l’influence de chrétiens sur sa pensée n’est pas unique ; n’en déplaise aux nietzscholâtres…
La misère de Martin Heidegger surgit en plein milieu d’une page en particulier, dans son texte « La parole d’Anaximandre » qui clôt le recueil « Les chemins qui ne mènent nulle part ».
Après les détours qui sont propres à sa démarche, à deux ou trois pages de la fin, on arrive à la misérable identification de tout dans tout et réciproquement. Je cite : « L’energeia [en alphabet grec dans son texte, comme tous les mots grecs suivants], pensée par Aristote comme trait fondamental de la présence, de l’éon ; l’idea, pensée par Platon comme trait fondamental de la présence ; le Logos, pensé par Héraclite comme trait fondamental de la présence ; la Moira, pensée par Parménide comme trait fondamental de la présence; le Chréôn, pensé par Anaximandre comme ce qui se déploie dans la présence, nomment le Même ».
Donc tout est présence. Au-delà de cette identification dissolvant les différences et les singularités (très fréquente chez Monsieur Hegel), au-delà de cet effacement des distinctions non seulement de mot mais aussi de « chose » (si tant est qu’il y ait une chose derrière ces mots), la misère tient dans cet accaparement d’une tradition, ou plutôt d’un horizon de pensées initiales, afin de confirmer ses propres thèses. Tout en prétendant être à l’écoute de la pensée de l’Etre, Martin Heidegger s’approprie en les diss
olvant des « notions » si différentes des unes des autres dans le but, si commun, de corroborer ses propres thèses. Il y a comme un arrière-goût amer d'imposture.
Là est pour moi la grande misère de Martin Heidegger, car ceci je l’ai pensé-vécu.
Le Pseudo-Anaximandre