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Le sérac philosophe
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16 juillet 2015

L’effroi (librement)

Froyer, fraier, freier, « ouvrir un chemin par le passage », « ouvrir en écartant les obstacles », « aplanir les difficultés ».

L’effroi n’est pas la peur, la frayeur, due à quelque danger.

L’effroi est ce qui fraie un chemin dans l’immanence de soi-même, aplanissant, écartant les représentations dissoutes du monde, des choses, des « réalités ».

Ce frayage est une expérience étrangère à l’espace, au temps, à la raison, et même au divin. Dans l’effroi, ceux-là ont disparu.

Aveuglé par mes regards illimités sur les choses, incapable de voir dans les ténèbres, ignorant de tout ce qui m’entoure, je perds tout lien, toute relation avec ma situation dans l’espace et le temps. Abandonné à moi-même, exilé d’un monde évanoui et ne m’acheminant nulle part, je m’expose au vide abyssal et vertigineux d’une nuit indéterminée, face à l’absence totale de toute chose. Voudrais-je me réfugier dans mes représentations, mes images fantasmées du monde ? Celles-ci éclatent en s’ouvrant à l’infini, infini qui devient irreprésentable, impensable, inconcevable.

Dans ce vide sans centre, sans repère, sans appui, -je- se sent chuter dans cet abîme infini. Dès lors, « qui se considèrera de la sorte s’effraiera de soi-même »1.

Celui qui s’effraie est outre lui-même dans cet effroi, il est cet effroi ; cet effroi l’enveloppe, l’immerge, le noie, le pousse, le tire. Dans cet effroi, il advient à lui-même comme effroi et non comme effrayant ou effrayé.

L’effroi advient librement, sans obstacle ; ayant tout écarté, tout aplani, il advient dans toute se force, sa violence immédiate.

L’effroi, « c’est le corps du silence : ne le redoute pas ! Il n’a en soi de pouvoir mauvais. Mais si quelque urgent destin (lot intempestif !) t’amène à rencontrer son ombre (elle, innomée, qui, elle, hante les régions isolées que n’a foulées nul pied d’homme), recommande ton âme à Dieu »2.

Le silence, son ombre, et ces régions isolées sont les métaphores de la altérité effroyable qui, en tant qu’elle est vierge ou non foulée, non frayée par l’homme, n’est ni humaine ni inhumaine.

L’effroi fraie en lui-même, dans cette vive flamme obscure de glace brûlante-déchirante.

 Le Pseudo-Anaximandre

1 Blaise Pascal, Fragment 199 des Pensées (édition de Lafuma).

2 Poème « Silence » d’Edgar Allan Poe traduit par Stéphane Mallarmé.

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Commentaires
A
Merci beaucoup pour vos avis encourageants.<br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> A.
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G
L'effroi c'est l'effraction : quelque chose fait sauter la structure du moi, et nous suspend dans l'indéterminé. Aussi y a -t-il sans doute bien des figures qui s'évoquent, sans qu'aucune (ne) soit à la mesure du sans-mesure : a-peiron, l'illimité. <br /> <br /> Très beau texte, cher ami.
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D
Oui, voilà un texte dont on sent qu'il est en lien avec l'expérience de la "chose". Sans doute y a -t-il dans l'effroi la proximité effarante du réel, de l'Apeiron, le sans-limite, lorsque la conscience pulvérisée laisse place à ce qui n'est plus elle et qui pourtant la constitue entièrement : familiarité et plus haute étrangeté tout à la fois !
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S
Très beau fragment cher Anaximandre, effroyablement beau sis entre l’immense et l’infini. Un sentiment de démesure ontologique à l’aune de la fragilité humaine , là où les anges sont peut-être éternels.
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E
J'aime bien cette méditation effroyablement libre.
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